BANDE DESSINÉE – Dès 9 ans
de Thomas SCOTTO
illustrée par Régis LEJONC
Éditions Thierry – Magnier – 20,50€
Un garçon a voyagé longtemps pour rencontrer le “roi pensant” dont la réputation de bon conseiller lui était parvenue. Il est le souverain de KODHJA(1), ville aux rues sournoises qui cachent au visiteur d’ultimes épreuves… mais un étrange enfant va l’aider.
Quand la rencontre espérée a finalement lieu alors qu’il a grandi, le jeune homme annonce au monarque sa décision de quitter la ville malgré l’invitation pressante qui lui est faite de s’y établir pour toujours dans l’insouciance. Pourquoi part-il donc ?
Cet album graphique (selon l’expression de Scotto) est une interprétation des textes(2) de La Fontaine et Cocteau placés en exergue.
Les auteurs font cheminer le garçon dans le labyrinthe (3) de ses agréables souvenirs de jeux et lectures (4) passés. Guidé par l’enfant qu’il a été – au visage occulté par de multiples masques (5) -, le héros encore nostalgique comprend que le temps a superposé des strates d’apprentissages successifs (6) vers l’autonomie. Ce travail d’archéologie du savoir l’amène à refuser que sa vie soit réduite à une posture d’enfant-roi.
Une fois les passions assumées, il trouve son identité et apporte sa pierre à l’édifice ; il est prêt à se remettre en route pour progresser sur le chemin de la sagesse dont il prend le nom (Kodhja).
S’immobiliser équivaudrait à s’infantiliser, mourir ou se priver d’intelligence (7).
Son choix satisfait le désir d’indépendance qui émerge dans sa réflexion de jeune adulte sans pour autant mésestimer le rôle du socle de l’enfance.
Avant 12 ans, tous ne parviendront pas à cette lecture sous-jacente même s’il s’agit d’un classique de la pédagogie. Les textes narratifs courts et la fin très explicite, associés aux beaux et grands dessins restent toutefois très accessibles aux plus jeunes (9 ans), éventuellement au premier degré.
Détails…
LA VILLE MODE D’EMPLOI
1) KADHJA : mot d’origine turque ; utilisé comme titre honorifique, il désignait le chef de famille ou de tribu. Il s’est répandu en Afrique du nord comme patronyme et même prénom après avoir désigné l’instituteur coranique, le sage, le savant voire l’imam.
2) LA FONTAINE « On rencontre sa destinée souvent par les chemins qu’on prend pour l’éviter ». COCTEAU « L’enfance sait ce qu’elle veut. Elle veut sortir de l’enfance ».
3) PLAN PEREC
– haut portail donnant sur un vaste hall
– accueil pour ouverture et accès à l’entrée 3ème gauche (cf. 2ème de couverture)
– escaliers 1, terrasse panoramique avec vue sur la tour centrale
– escaliers 2 (bel hommage aux lithographies de ESCHER), réduit des locataires figés
– accès sinueux menant à la salle de jeux
– fontaine de jouvence, source de l’imaginaire
– escaliers 3, bibliothèque
– couloirs dangereux, passages aveugles, chausse-trappes (clin d’œil à Astérix en vadrouille ?)
– dédale menant à une placette avec la balançoire des jumeaux indécis
– escaliers 4, prisons
– ronces, escaliers 5 menant au jardin suspendu
– escaliers 6, salle du trône
– sortie
4) LECTURES FONDATRICES
– B.D. (Schtroumpf, GOLDORAK, Tintin, Babar, King Kong, Girafe…) et vedettes (De Funès…)
– Tom Sawyer (polisson et fugueur) ; le baron perché (liberté et isolement) ; l’écume des jours (des fleurs pour Chloé) ; roule galette (connaître le monde) ; des souris et des hommes (l’amitié à deux) ; les trois brigands (jouer un rôle social) ; l’œil du loup (comprendre l’autre dans sa différence).
5) MASQUES D’ANIMAUX
Chat, poisson, oiseau, chien, vampire, cerf, Mickey, lapin, roi lion ; l’enfant sans visage ni prénom n’existe pas encore en tant qu’homme…
6) LES APPRENTISSAGES
Ils sont mis en valeur par les dessins de R. LEJONC autant par la taille, l’orientation, que par le trait noir périphérique et l’économie de couleurs savamment contrastées. Relever l’album permet de mieux apprécier la profondeur de champ et les gros plans extrêmement nets qui sautent alors aux yeux.
· Surmonter la fatigue : gris anthracite des pierres opposé au beige (ternes, épuisés)
· Rassembler son courage : minuscule silhouette perdue sur fond de lumière jaune sous de hautes voûtes bleu-gris dans l’ombre. Ensuite, plan rapproché du garçon de dos puis de face, serein quand la décision est prise. Couleurs en nombre réduit.
· Vaincre la peur de l’inconnu : ruban-son blanc ; visage mystérieux (dégradé gris-bleu).
· Faire preuve de ténacité : explosion du rouge de la ville sur fond de ciel bleu, ombres.
· Ne pas suivre le mauvais exemple : main sur le panneau stop.
· Résister à la tentation du superficiel : amusante idée du manège-calendrier de l’Avent (BD dans la BD), beau visage fasciné en contre plongée. Le mouvement absent jusque-là et la profusion de couleurs envahissent la salle de jeu. C’est une page récréation pour les lecteurs.
· Préserver sa créativité (grande fontaine) et tirer la leçon de ses lectures.
· Être responsable et prudent (intermède inquiétant de la brume sans couleurs vives)
· Savoir se décider (balançoire équilibrée, opposition bleu/rouge)
· Dominer ses passions : grande explosion de rouge et bleu agressifs
· Respecter la loi sous peine de punition (petit lapin), donc restreindre ses envies (jardin, tornade). C’est tout le sens des pages dépouillées de la fin (beaucoup de blanc) lors du dialogue sérieux et du retour à l’extérieur.
7) la scène de théâtre présente Cupidon, la mort et un robot symboles d’une vie ratée.
Bien d’autres détails et références culturelles satisferont la curiosité du lecteur…
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