ALBUM – Dès 10 ans **
de Annie AGOPIAN
Graphisme de Célestin FORESTIER
Illustrations de Carole CHAIX
Éditions Thierry Magnier – 17€
Les auteurs tentent ici de faire comprendre, sans croquis ni mots savants de neurobiologie, ce qui se passe « entre nos deux oreilles », là où siègent 170 milliards de cellules.
Pour ce faire, Albert et son chien sont mis en scène chronologiquement à 9 moments différents de la journée.
Se succèdent donc, au théâtre de la vie, neuf décors et leurs acteurs, sur praticables biscornus et mobiles.
Ils alternent avec un gros plan de l’intérieur surréaliste de la boîte crânienne.
Les textes consistent d’une part en commentaires prosaïques traduits du langage-chien, d’autre part en une formule titre placée en haut de page et résumant l’activité cérébrale elle-même exprimée par des dizaines de verbes (à la première personne) disposés en fonction des dessins.
Ceux-ci, poétiques mais souvent extrêmement fouillés, sont compréhensibles par un jeune enfant.
En revanche, pour profiter pleinement de la lecture, il faut posséder les subtilités de notre langue (9 ans au moins) car c’est grâce à la polysémie que le chien est drôle pour nous.
L’histoire ne se livre pas sans effort de la part du lecteur; il faut souvent revenir en arrière si l’on n’a pas été attentif aux détails.
Toute la subtilité du livre réside dans cette interactivité car ce sujet sérieux est traité de façon ludique ; si elle s’avère nécessaire, l’aide d’un adulte peut se borner à quelques questions pour donner des pistes.
L’enfant trouvera les réponses dans les dessins ; il en tirera alors le grand plaisir d’avoir dû chercher pour voir vraiment et la satisfaction de comprendre ce qui était déroutant voire absurde au premier abord.
Intérieur ou formulé, cet aboutissement sera la preuve du fonctionnement de son intelligence alors qu’il semblait n’y avoir qu’amusement.
1) DIMANCHE MATIN – LA CHAMBRE A COUCHER – ON DORT
Détails à repérer p. 1,2 dans le dessin
* l’oiseau et ses transformations (plumes édredon, patineur, avion) constituent le rêve d’Albert plus varié que le tas d’os au-dessus du chien (opposition homme/bête)
* le support a des roulettes et un filin rouge pour pouvoir être déplacé (théâtre)
* des caractères d’imprimerie sans fantaisie (disposition linéaire) sont utilisés pour les pensées du chien (ce sera toujours le cas)
* les proportions (Albert et le chien sont plus gros)
Langue-chien :
* le canari du voisin sonne (pendule avec chants d’oiseaux ?)
* pronoms (je, mes)
* notion inconnue : dimanche (se lever, se coucher tard)
Détails dessin et typographie p.3, 4 (gros plan)
*le chien a les yeux ouverts
*Albert a les yeux fermés mais son cerveau est réceptif (sons). Il « s’exprime » en caractères d’imprimerie spécifiques à droite (capitales, disposition).
Deux lignes de part et d’autre de la donnée neurologique à retenir résument le chapelet sinueux de verbes. En rouge, ce qui concerne l’avenir. Voilà établi le code permettant à chaque page de savoir qui parle.
*le cloisonnement du cerveau est fait de branches ; l’oiseau sautille librement (humour lié au texte).
Langue : blague sur cervelle de moineau
2) LE PETIT DÉJEUNER – LA CUISINE – ALBERT RÊVASSE MAIS ENTEND TOUT
Détails à repérer p. 1,2 dans le dessin
De gauche à droite : le bleu dans la fenêtre (il fait beau), le voisin mécontent (aboie), les voitures, la radio déverse au sens propre les catastrophes du jour, la cafetière, la veste fantaisiste (queue de pie), l’oiseau qui chante, les publicités, la boite de céréales, le drôle de vélo sans pédales, les escaliers. Il s’agit de l’univers quotidien dans lequel Albert circule et que l’on reverra dehors.
Langue-chien : l’Amazonie ce n’est pas la porte à côté (humour cf. ensuite l’emplacement de l’affiche), avoir un mal de chien, la radio miaule, les voisins aboient.
Détails dessin (même typographie) p. 3,4 (gros plan)
Les éléments sonores des deux pages précédentes rejoignent dans des bulles le cerveau d’Albert (appuyé sur sa main). Le travail qui s’y accomplit est représenté comme une machine colorée, complexe (engrenages, poulies).
3) LA PROMENADE MATINALE – LA VILLE – ALBERT S’AMUSE, VOIT mais EST DISTRAIT
Détails dessin p. 1,2
Albert a les yeux fermés quand…
IMPORTANT : suivre sa sortie sur les marches puis la promenade en pointillés rouges : repérer le réverbère, les pointillés noirs et l’ombre au sol ; en déduire le looping, une chute et les soins à l’hôpital.
*repérer les publicités du 2, les câbles devenus fils électriques, les passages protégés loufoques
La fantaisie détourne le réalisme.
Langue-chien : humour de la roublardise canine, inversion des rôles ; avoir un petit vélo dans la tête.
Détails p. 3,4 (gros plan)
Le sparadrap sur le nez fait le lien avec la page précédente
Dessins centrés sur le sens de la vue et le plaisir du jeu : l’intérieur du crâne est éclairé par le phare du vélo, on repère des jouets, des jeux de société, des mots croisés avec « voir ». Une sorte de film des loisirs déroule sa pellicule en passant par les orbites ; l’effervescence est partout (échelles).
L’activité cérébrale formulée est au contraire présentée avec sérieux ; rigueur des points reliés, des flèches autour d’un dessin de plus en plus complexe. Les verbes et expressions sont très nombreux. Le chien est dessiné avec peu de détails car ses besoins sont simples.
Langue : n’en faire qu’à sa tête
Antagonisme entre les propos du chien et ceux du cerveau humain ;
4) LE MIDI – LE RESTAURANT – ALBERT GOUTE ET HUME LES SPAGHETTIS
Détails dessin p. 1,2
Ils relient la scène à ce qui précédait (camion, vélo, câble électrique), corrigent les propos du chien (muselière pour sparadrap, vers pas encore nommés pour spaghettis, refus d’entrer contre panneau interdit) et annoncent la suite de l’histoire (zoo, affiche à demi cachée).
La langue-chien : comprendre l’appréciation déformée des choses
Détails dessin p. 3,4 (gros plan)
Opposition entre flair animal (quelques cercles) et perception humaine des odeurs (profusion de courbes). Notre cerveau décode les sensations olfactives et programme le plaisir.
Dominante de rouge ; la bouche est ouverte, le texte a la forme des spaghettis et de la vapeur. Le nouveau graphisme évoque les effluves de tomates, oignons, viande fidèlement représentés.
Texte : le chien est dans l’erreur (vers=spaghettis)
5) L’APRÈS-MIDI – LA PROMENADE BUCOLIQUE – ALBERT EST SÉDUIT PAR UNE AFFICHE
Détails dessin p. 1,2
*les ombres détachées traduisent l’émotion
*la publicité concerne un parfum, symbole de féminité qui s’ajoute au mannequin de rêve
*la dame et sa chienne introduisent l’idée de couple
*le feuillage des arbres est rose (couleur conventionnelle de l’amour)
Langue : vie de chien, tomber dans le panneau/panneau publicitaire
Détails dessin p. 3,4 (gros plan)
On ne voit plus la tête d’Albert qui est submergé de phantasmes sentimentaux (poncifs des photos de couples, lieux traditionnels de voyage de noces, gros cœur, étoiles, fleur et pétales).
Le texte est bref car la réflexion est étrangère aux sentiments ; le chien n’est pas concerné et se tait.
6) LA FIN D’APRÈS-MIDI – LE ZOO – LA CONFUSION DES SENTIMENTS
Détails dessin p. 1,2 (texte sans difficulté)
Dans les cages il n’y a que des couples ; Albert est rouge ; sur le banc il tourne le dos à la dame en amoureux transi alors qu’au loin, hors champ, rêvé, le couple s’est formé tête en bas. Les chiens, eux, se flairent sans histoire.
En dehors de l’arbre et du visage, le gris domine.
Détails p. 3,4 (gros plan)
Subtil dessin aux couleurs ternes, tristes. Deux demi-têtes imbriquées l’une dans l’autre sont surmontées du personnage privé de liberté. Elles flottent sur un océan de larmes. Des lunettes noires signifient qu’on est aveugle, pas objectif.
Textes difficiles : signification de « ne pas être soi-même » (indécision, contradictions intérieures).
7) CHAGRIN ET SOLITUDE
Dessin p. 1, 2
Très dépouillé, quasiment vide ; les lieux sont déserts, les paysage morne, le gazon pelé. Beaucoup de blanc sauf la robe ornée d’oiseaux jaunes.
Langue-chien : les ordres brefs habituels sont attribués à l’homme alors que l’enthousiasme est du côté de la bête. Les cadeaux incongrus font sourire et compensent la tristesse ambiante.
Le gros plan p. 3,4
Dessin : dans la tête, du bois mort (gris) et une déchirure brûlante (orange) qui troue le quadrillage fin des idées. L’oiseau (liberté) prend les jambes d’Albert pour retourner en arrière. Les mains jointes sur le visage cachent les pleurs. Le chien est en colère (rouge) et secoue la tête pour protester.
Texte : disposé comme le prolongement des branches il penche à gauche vers le passé.
8) LE SOIR – L’ARRÊT DE BUS – ALBERT S’APAISE ET PREND DE LA DISTANCE
Dessin p. 1,2
Lignes horizontales, personnages de dos (retour au réel); seule la décharge est en fouillis (réverbère). Tout est calme, en attente, immobile. L’homme et le chien perdent leurs couleurs (opposition bleu triste, fauve dynamique).
Textes : blague sur « question bête ». Pensées humaines disposées presque à l’horizontale.
9) LE SOIR – LE RETOUR A LA MAISON – ALBERT S’INTÉRESSE AUX AUTRES
Cette scène est une synthèse des deux procédés graphiques antérieurs ; on y voit un bout de support à roulettes et des gros plans.
Dessin
Le personnage et son chien regardent par la fenêtre du bus en pensant au repos et aux croquettes. Les autres passagers comme les piétons dévoilent leurs préoccupations diverses. (les détails précisent leurs pensées, retour de la couleur).
Texte
Il est dans la même direction que le bus.
Le chien se tait ; l’homme réfléchit toujours ; l’encadré passe en bas de page et évoque la liberté procurée par l’intelligence.
Avis
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