ALBUM – Dès 6 ans **
de Claude PONTI
Éditions Ecole des Loisirs – 18.80€
La sortie d’un album de Ponti est toujours un événement littéraire. Saura-t-il encore surprendre ses fans après toutes les œuvres pour enfants déjà parues ? Evidemment !
Dédié à sa fille Adèle, l’initiatrice du premier album en 1986 (L’album d’Adèle), l’ouvrage Mouha met en scène un petit personnage vêtu de jaune poussin (clin d’œil à Blaise et sa bande). Est-ce encore une fois Adèle dans ses œuvres ?
Mouha est un véritable récit initiatique : la petite fille part de chez elle, surmonte une série d’épreuves, et revient at home en disant : « J’ai vu et vécu plein de choses inconnues belles et intéressantes, mais je ne suis pas sûre de tout me rappeler ». Autrement dit, elle a grandi, a gagné en confiance en elle, mais rencontres et épreuves resteront enfouies dans son inconscient : c’est la définition du récit initiatique.
Toujours aussi « carollien », Ponti, au début de l’histoire, fait tomber son héroïne de haut en bas, du haut de son arbre au « sol de par terre », comme une Alice tombant dans le terrier du lapin blanc. Une autre référence carollienne est introduite : Mouha repeint en rouge les coccinelles sans rouge (blanches, en fait).
Les lecteurs avertis se régalent des clins d’œil et autres citations de Ponti, ses emprunts à la littérature, aux mythes.
Par exemple, les énigmes posées par chacun des horribles monstres ne sont pas sans rappeler celle du Sphynx proposée à Œdipe. Les énigmes inventées par Ponti sont subtiles et drôles et aiguiseront l’intelligence des jeunes lecteurs si un adulte les aide à comprendre. La plus savoureuse étant : « Bali et Balo sont dans un bateau. Bali tombe à l’eau : qui est chauve ? ». Pour Mouah, c’est évident : »Bali tond Balo, c’est Balo qui est chauve » !
La rencontre initiale, celle qui ouvre le circuit initiatique est quelque peu philosophique. C’est « Blaise, le poussin masqué », venu exprès » ! Assis en tailleur tel un sage bouddhiste, il met en garde Mouha contre les apparences (ceux qui ont l’air gentil, ou méchant, ne le sont pas forcément). Il lui donne également la règle du jeu : « Certaines personnes, parfois venues de loin ou d’ailleurs, seront là à temps et au bon moment ». A part ça, il aime la coiffure de Mouha. Ce petit leitmotiv décalé sera prononcé par plusieurs personnages dans l’album.
Le foisonnement des images, où l’on reconnait parfois une influence « dalienne », en tout cas très surréaliste, ne cesse d’amuser les plus jeunes lecteurs.
Un petit signe à son collègue Anthony Browne page 15 ? Un gorille peu souriant inaugure une galerie d’animaux plus effrayants les uns que les autres, mais Mouha ne recule devant aucun danger.
Les inventions langagières inouïes et sans cesse renouvelées laissent pantois devant la créativité de Ponti.
Les noms des monstres sont particulièrement évocateurs : la Marfagole,le Bafrafon, le Rédédékère, le Surglonfan, l’Archikrott, l’Ecervelle et le Hard-Gravargne (particulièrement imprononçable !).
Quant au titre, Mouha, à la traduction évidente, marque-t-il ce trop plein d’égocentrisme que vivent les petits avant de partir à la découverte des autres ?
Dans cet album, Ponti, une fois de plus, a recours à la prolepse et à l’analepse, deux dispositifs littéraires qui obligent les lecteurs à se déplacer dans l’album, soit en avant (ils sont alors transportés dans un autre moment de l’histoire en sautant une étape chronologique par une ellipse provisoire), soit en arrière, à la manière d’un flashback.
Bien entendu, le lecteur adulte jouera le jeu avec grand plaisir, et initiera son jeune auditoire aux fantaisies temporelles de Ponti.
Hé bien oui, Ponti a encore frappé un grand coup avec cet album qui illustre à merveille l’acquisition de la confiance en soi.
Adultes et jeunes lecteurs y trouveront leur compte !
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