ALBUM – Dès 5 ans
de Isabelle SIMLER
Éditions Courtes et Longues – 22 €
A la tombée du jour, la lumière change et s’éteint peu à peu : c’est l’heure bleue.
L’auteure a cherché tout ce qui peut entrer dans ce cadre : tout ce qui a du bleu, partout dans le monde pour faire un album plus que superbe où le bleu est roi.
« Le jour s’éloigne… bientôt la nuit. Entre les deux, elle passe… C’est l’heure bleue » …
Ainsi commence ce merveilleux album au texte poétique magnifiquement illustré.
A la page suivante, « le geai bleu dresse sa huppe et pousse un cri strident ».
Puis vient le renard bleu qui se glisse dans le froid polaire : maintenant ce sont les grenouilles azurées qui se regroupent et les mésanges bleues qui « zinzinulent » pendant que les pintades vulturines s’attroupent…
Le grand mérite de ce livre est d’être didactique sans ostentation en même temps que beau.
Sur le plan pédagogique :
– grâce à la palette du début, un enfant pourra identifier chaque couleur (jeu possible)
– le texte court met bien en valeur le nom de l’animal et celui de son cri, parfois rare mais amusant (les petits apprécient les onomatopées) ; il permet de dialoguer. Un adulte pourra même le rythmer par groupes de 4,6 syllabes car il est suffisamment poétique et laisse ainsi le temps de trouver ce qui est nommé
– flore et faune sont fidèlement représentées. Les bêtes initialement choisies pour leur couleur dominante ne sont pas toutes familières mais le deviennent car mises en scène dans leur attitude typique et leur habitat (photo et descriptif sur internet facile à trouver)
– de nombreux petits détails peuvent éveiller la curiosité (insectes cachés par exemple)
– quatre des cinq sens sont mis à contribution dans certaines pages (de plus on touche le livre); trois des quatre éléments sont présents (pas de feu). On pourra les évoquer en questionnant.
– les ombres du rendez-vous final permettent d’exercer la mémoire des formes
– avec le planisphère qui termine l’ensemble on prend conscience d’avoir fait le tour du monde (il peut être à l’origine de commentaires sur les continents).
On ne peut que louer l’efficacité de cette démarche !
Sur le plan esthétique :
– la couverture annonce le style du livre ; elle est une invitation à découvrir au crépuscule un monde bleu original et peut-être secret devant lequel l’aigrette est en sentinelle. Dominant au premier plan l’ensemble du paysage, elle REGARDE, comme nous
– on apprécie d’emblée la sobre élégance des pages titre à la typographie dépouillée dont les dessins constituent une simple ébauche estompée du sujet ; déjà on note que le graphisme est servi de manière irréprochable par l’impression
– la mise en page est savamment conçue. L’utilisation des deux feuillets permet de créer un espace à géométrie variable
Par exemple, au grand paysage du début succède un gros plan (le geai, taille réelle). D’abord, de bas en haut, plongée sur des conifères puis survol des collines ; on tourne : brusque arrêt sur l’oiseau qui « crève l’écran ». Presque tout le livre utilisera ce procédé. L’alternance des prises de vue renouvelle continuellement l’attention. Mais rien d’artificiel : chaque fois il s’agit de créer des atmosphères différentes (paix solitaire des grands espaces figés et silencieux, dessinés à grands traits horizontaux, obliques ou légèrement courbes) ; zoom sur la placide immobilité des grenouilles ou le chant du geai, grossissement maximum comme une vue au microscope pour le papillon sublime. Parfaitement centré, il bat des ailes de part et d’autre de la reliure quand on le veut.
La diversité du nombre et de la taille des animaux est signifiante également ; taille réelle du bec ouvert pour l’intensité du son, groupe pour les grenouilles (mais c’est le texte qui signale le bruit).
Ces arrêts sur image vont être suivis d’une double page de mésanges affamées. Leur mouvement si vif est rendu par le fait que chacune est saisie en plan moyen dans diverses positions ; s’il veut toutes les regarder, l’œil restitue le déplacement esquissé à la manière d’une lanterne magique.
– les choix graphiques constituent un trait d’union d’une page à l’autre, soit par contraste, soit par continuité
Par exemple aux lignes coupantes du froid nordique succèdent les courbes enveloppantes (chaudes) des lotus du sud dont la feuille centrale synthétise les deux procédés. Les rayons s’y mêlent aux perles d’eau éclaboussée. Celles-ci deviennent baies nourricières pour les mésanges au tableau suivant. On y trouve cette fois les verticales et obliques des branches (peut-être trajectoire du mouvement virevoltant). Les tiges sombres ou claires se trouvent réparties entre gauche et droite (ombre et lumière) sous les flocons. Changement complet avec le grand plan d’eau statique (lignes). Seules les sardines bondissantes sont autant de moutonnements agités vus avec convoitise par leur prédateur vertical et immobile.
Tout est dit sobrement, le texte évoque par glissement de sens le repas à venir. Partout la finesse du trait restitue aussi bien le givre arachnéen que la surface large et soyeuse des plumages ou que les lueurs incertaines glissées sur l’eau.
– la couleur est dosée pour qu’on ne se lasse pas de tout ce bleu. Celui-ci est réchauffé par des touches d’orangé, vermillon ou jaune toujours justifiés même dans l’amplification (étonnante chouette). Du blanc lumineux le fait presque oublier.
Par exemple ce que pourrait avoir de lourdaud une pintade est corrigé par la souplesse accentuée des plumes blanches sur fond sombre ; les bulles de lumière aériennes de la baleine font oublier sa masse.
Ainsi chaque page tournée s’ouvre sur une surprise magique tant la combinaison des teintes est variée ; le bleu n’est pas un filtre réducteur mais un prétexte à une symphonie de couleurs.
– la conception d’ensemble est au service de l’idée de départ : la disparition progressive de la lumière.
Insensiblement, à chaque page, les tons se sont foncés et rappellent que le temps s’est discrètement écoulé. Le choix des thèmes successifs est judicieux. Il permet de passer des espaces aériens aux recoins sombres des sous-bois ou buissons ; de la joie à l’angoisse aussi. La jungle et les fonds sous-marins sont sous-tendus par la peur (pieuvre) qui accompagne le noir mais que la couleur rend attrayants. Cette montée de l’ombre est doublée d’un decrescendo général partant des animaux les plus bruyants (oiseaux) pour aboutir aux plus silencieux (monde aquatique, mollusques et
reptiles). Le signe que la nuit est venue et le silence complet est marqué par l’attitude surprise des singes qui vous regardent de face (tous les autres animaux étaient de profil), comme dérangés par un coup de flash intempestif
. Les plus attentifs lecteurs auront remarqué que même les lettres ont subrepticement quitté le haut de page pour se glisser finalement sur le sol et se reposer, elles aussi.
Une belle idée ; un livre pensé avec subtilité, en artiste : à déguster aussi tôt que possible, dès que l’enfant parle, au besoin avec l’aide d’un adulte qui aura autant de bonheur que lui. Le regarder plusieurs fois multipliera le plaisir tant il est riche.
Pour écouter un tel livre d’images, il faut fermer les yeux et se souvenir de tous les bleus que l’on connaît. Pour mieux voir.
Au début, pour s’y retrouver, trente-deux dragées oblongues ou non, colorées de toutes les nuances possibles, vont guider le regard dans un dégradé choisi pour passer du jour à la nuit, l’heure bleue. Il s’agit aussi d’un voyage autour du monde entre rêve et réalité.
Nous partons de nulle part. Quelques conifères, des mélèzes peut-être, sombres mais effleurés d’une touche de vert, bordent des collines lointaines encore discrètement jaunies d’un reflet solaire. La silhouette blanche d’oiseaux en vol anime l’infini du ciel. Tout le reste est bleu.
Surgit un geai aux plumes chatoyantes et qui surprend par sa taille : il introduit la bande son dans l’entrelacs bleu et blanc des branches dénudées.
Silence, on tourne la page ! C’est l’hiver arctique au dépouillement translucide et azuréen, domaine du renard, bleu, évidemment.
Mais vite, pages suivantes fraîcheur exotique pour un concert de grenouilles puis celui des mésanges… toutes bleues bien sûr, mais dont les taches jaune vif ponctuent l’espace.
Un peu de calme maintenant, il faut se nourrir une dernière fois ; ultime appel des pintades et c’est presque la nuit. Une chouette multicolore veille déjà comme un phare.
Vite encore de la lumière pour un dernier tour du monde ! L’éclat pyrotechnique des ailes de papillon nous éblouit.
Quelques insectes en osmose avec leur source de nectar s’intègrent à la profusion lumineuse de minuscules pétales. Ils se font passer pour une fleur ou se cachent dans l’ombre de celle-ci tandis qu’une araignée invisible tend ses fils entre les tiges.
Gigantisme au contraire dans la jungle où les inquiétantes flammes orangées des fleurs exotiques s’échappent du sol. La pénombre inexorable et sournoise est trouée par les volutes métalliques d’une couleuvre luisante tapie sur un tronc.
Chez nous, protégée dans l’intimité d’un nid blotti au creux d’un buisson, la vie s’apprête derrière les coquilles d’œuf. Un couple de merles guette.
Les hommes ont clôt leur maison. Quand on est un chat, bleu ou non, c’est l’heure (qu’on dit entre chien et loup) de s’échapper, de rôder furtivement, de se couler entre les clôtures pour une vie nocturne et secrète.
Il fait trop noir, lumière ! Merci les grands luisants aux cornes-périscopes, merci grande baleine qui souffle des milliers de bulles scintillantes. Tu nous invites dans le mystère inquiétant des profondeurs océanes peuplées de pieuvres meurtrières si gracieuses et de dragons inoffensifs au charme sinueux.
On remonte à la surface pour voir les aigrettes immobiles déjà, les singes alanguis enfin silencieux. La grâce éphémère d’une libellule posée sur un champignon périssable clôt l’aventure.
La nuit venue, les ombres immobiles de chaque rencontre se donnent un rendez-vous onirique au clair de lune. Tous ont aussi une place dans le monde réel.
La nature s’apaise ; l’heure bleue s’installe.
Les fleurs bleues embaument.
Le bleu est de plus en plus intense et foncé. C’est presque la nuit…
On se retrouve à la mer où la baleine bleue respire.
Bientôt, « tous les animaux sont au rendez-vous, chaque soir, silencieux et la nuit en douce les enveloppe tous ».
Que notre planète bleue est belle ! Inutile d’ouvrir les yeux, il est temps de dormir.
Dans cet album magnifique, les dessins sont précis, presque des croquis scientifiques, pleins d’expression et de précision.
Tous les bleus sont déclinés du plus clair au plus foncé.
Le bleu est toujours relevé d’une petite touche de couleur différente, adaptée à l’animal présenté.
Chaque page est un enchantement.
Les pages de garde du début montrent des petits œufs avec toutes les variations possibles du bleu et leurs noms.
Celles de la fin de l’ouvrage offrent une carte du monde noire sur fond bleu foncé, sur laquelle sont dessinés en petit format et en blanc, sur leur pays d’origine, les animaux qu’on a découverts au fil des pages.
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