ROMAN – Dès 15 ans **
de E. LOCKHART
traduit de l’anglais (USA) par Nathalie PERONNY
Éditions Gallimard – 15 €
Pourquoi Jule fuit-elle précipitamment au début du livre ? Le suspense sera longtemps maintenu et la fin apparente annoncée dans les premières pages (chapitre 18) fera l’objet d’un rebondissement dans les dernières (chapitre 19). Le reste du texte, (chapitres 17 à 1), comme pris en tenaille à l’instar de cette forme narrative, raconte l’histoire de l’héroïne et de ce qu’elle estime être sa libération. Nous remontons le temps pour démêler l’écheveau des fantasmes, mensonges et vérité(s) du personnage.
Comprendre ce qui s’est produit suppose donc de reconstituer les faits en prêtant une grande attention aux discrets indices fournis, aux corrections progressives et à la chronologie réelle.
Cette vérité fluctuante qui justifie à la fois le titre et notre conclusion intérieure est une trouvaille très originale savamment utilisée pour brosser le portrait mouvant de deux jeunes filles soi-disant amies. Bien qu’élevées différemment, de la souffrance d’avoir été adoptées est née chez elles une volonté commune de mener librement leur vie en dehors des conventions inculquées.
Devant leur désespoir dissimulé, on hésite progressivement à dire laquelle est la pire, la plus cynique, la moins humaine tant le fiel de la révélation des faits nous empoisonne graduellement.
Sans dévoiler l’intrigue, on peut rapprocher la situation du lecteur de celle d’un juré d’assises dont les certitudes et valeurs socialement admises sont ébranlées par la compréhension des actes commis et expliqués. Nous vivons moralement à leur égard le phénomène d’attraction/répulsion qui sous-tend la relation des deux personnages principaux aux motivations peu à peu démasquées. La délinquance de Jule a paradoxalement été engendrée par une exigeante droiture initiale et sa violence impulsive pulvérise un comportement froidement calculé ; de son côté, Imogen manipule autrui au gré de son instabilité, devenant une relation toxique qui souffle le chaud et le froid et « tue » psychologiquement ses conquêtes ; elles ont pour modèle des héros de papier ou de cinéma valorisés dans leur imaginaire parce qu’elles refusent la compromission d’un ancrage dans notre quotidien imparfait. La soif d’absolu étouffe leur sensibilité.
La technique d’écriture sort de l’ordinaire mais est moins nouvelle qu’il y paraît. De Faulkner à Pérec, le jeu sur le temps du récit a interpellé quiconque cherche à renouveler la narration.
Récemment, en littérature jeunesse, le livre de J. Nelson, « le soleil est pour toi » utilisait magistralement le procédé d’une reconstitution croisée du vécu de deux jumeaux – frère et sœur – (l’une chronologique et l’autre à rebours alternaient pour cerner une vérité à deux visages).
Trouble vérité est un livre aux thèmes nouveaux, assez complexe pour séduire les esprits alertes sans pour autant faire dévier les têtes bien faites.
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