ROMAN – Dès 15 ans **
De Cécile ROUMIGUIERE
Éditions Sarbacane – 15.50 €
Fragiles parce que délaissés. Un garçon et une fille vivent leurs expériences sous nos yeux. Ils sont meurtris par la maladresse ou l’égoïsme d’adultes qui auraient dû leur donner la force d’affronter le monde. . L’univers sans pitié des jeunes loups de leur âge ne les aide pas non plus. La fin dramatique est suggérée par le beau graphisme épuré de la couverture : au-dessus d’un masque figé, un oiseau : va-t-il s’envoler vers la liberté ? L’oreille symbole de musique et dernière étincelle de vie permettra-t-elle de renaître ?
Ce livre est une autopsie : de quoi Andrew est-il mort psychologiquement ?
Dans le prologue, nous faisons sa connaissance alors qu’il a 17 ans et se trouve immobilisé au sol, peut-être blessé, tandis que son père semble agoniser à ses côtés. On ignore ce qui s’est passé. L’attente dure 2h10 minutes. Avant que sa mère ne découvre le drame et appelle les secours, l’adolescent se remémore des bribes de scènes traumatisantes vécues dans l’enfance. Ses pensées décousues mêlées de sensations et de fantasmes sont imprimées en italiques là comme à la fin de chacun des 19 chapitres.
C’est dans la conception d’ensemble que réside la force de l’ouvrage. L’auteure mène le récit selon une structure temporelle complexe qui alterne :
– le présent immédiat d’Andrew en train de finir de sombrer dans la schizophrénie (italiques)
– le déroulement de la journée fatale dont l’horaire est minutieusement signalé ; il donne la chronologie des activités, fait vivre certaines scènes en direct et insère les pensées (jour J)
– les flash-back du tandem infernal père/fils, compte à rebours des huit années précédentes qui nous éclaire progressivement sur les évènements passés.
L’approche omnisciente et analytique choisie par l’écrivain varie les points de vue et oblige le lecteur à nuancer son jugement sur les personnages. Il enquête, reconstitue les faits, comprend.
– La première apparition du père (Cédric) le montre odieux, raciste, violent, égoïste ; pourtant il aime son fils.
Cindy, mère trop jeune, frivole et sans expérience, bien qu’aimante, n’a pas vu la gravité du conflit déstabilisant lié
– au comportement du père ni su interpréter les cauchemars d’Andrew.
– L’aide épisodique des proches (grand-mère efficace et clairvoyante, instituteur à la main discrètement tendue, l’entraîneur sportif plus tard) n’a pas suffi pour contrebalancer le poids des blessures infligées à la sensibilité d’Andrew ou cours des ans.
L’image des barreaux d’une cage intérieure enfermant le garçon s’impose quand son entrée en 6e coïncide avec une solitude croissante, de l’automutilation, les jeux vidéo, le refus de son prénom et celui définitif d’être un sportif raciste et borné pour correspondre au rêve de Cédric.
Intelligent, il va jusqu’à jouer les cancres. Même son amitié amoureuse pour Sky l’été suivant est frustrante car la toute jeune fille, précoce, aime ailleurs et lutte elle aussi contre la démission parentale. Sa façon débridée de vivre dans l’excès est la face extravertie du malheur des jeunes gens fragilisés par leur environnement.
Au fil des heures comme des ans les portraits s’affinent donc par le biais des souvenirs et associations d’idées jusqu’à l’explication de la scène initiale. L’impossibilité d’une admiration mutuelle a cadenassé l’avenir et créé une prison de contraires inconciliables. A la paternité ratée s’ajoute la dégradation de l’équilibre filial. L’épilogue est terrible.
Une écriture magistrale traduit l’impression d’une nasse désespérante qui se referme impitoyablement sur le jeune homme.
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