ROMAN – Dès 15 ans
De Alice OSEMAN
Éditions Nathan – Nouvelle édition 2022 – 17,95€
La Grande Bretagne, de nos jours, en milieu scolaire correspondant à nos lycées français.
Victoria (TORI) SPRING 16 ans va mal : ses études ne l’intéressent pas, pas une amie, pas de copain.
Seuls ses frères sont proches d’elle : Charlie comprend autrui à partir de sa propre souffrance, Oliver encore petit joue avec elle. Ses parents, pris par leurs activités, semblent avoir renoncé au dialogue.
Dans toute cette grisaille, l’établissement scolaire structure vaguement les journées.
La vie des adolescents est ailleurs : sur Internet, au téléphone, dans les sorties entre jeunes avec les excès habituels auxquels l’héroïne participe peu ou prou, sans enthousiasme.
Une rencontre liée à des circonstances étranges va déranger ce train-train morbide. Michael HOLDEN, secret mais fort, s’intéresse à la jeune fille alors qu’elle se trouve nulle ! Un ami d’enfance réapparaît également : Lucas RYAN. Son rôle exact ne sera dévoilé qu’à la fin du livre.
La routine de ce monde clos va être perturbée pendant un mois par les interventions mystérieuses de SOLITAIRE.CO.UK. De ce fait les relations entre les jeunes gens vont évoluer, TORI va réapprendre à vivre.
« … pour aller de Nouvelle-Amitié à Tendre-sur-Estime, Clélie a ingénieusement mis autant de villages qu’il y a de petites et de grandes choses qui peuvent contribuer à faire naître par estime cette tendresse dont elle entend parler » (Melle de Scudéry)
Michael aurait pu satisfaire même les Précieuses : il possède Grand Esprit (contrairement aux autres il lit vraiment), Sincérité (remarques sans détours alors que tous déguisent leur pensée), Générosité … (présence inconditionnelle pour aider TORI) …
On pourrait poursuivre indéfiniment le parallèle tant la découverte réciproque des deux personnages principaux relève de l’éternel voyage sur la rivière d’Inclination. Il n’y a pas si loin du 17ème au 21ème siècle ! Roman d’amour ?
Froid constat sociologique sur la jeunesse également. On plonge dans leur monde (blog refuge), leur culture (seigneur des anneaux, Twilight, Madonna), leurs codes vestimentaires ou de politesse interne, leur langage (aïe, traduction non assurée) et leurs loisirs (musique, fêtes avec alcool, drogue éventuellement). Certains n’aiment pas mais s’y plient. Pour ne pas être seuls.
De la solitude, de son impossibilité à communiquer vient la détresse intérieure de Victoria. Non seulement elle voit les défauts d’un monde qui ne lui apporte rien, mais elle s’autoanalyse aussi sans complaisance.
Le livre est écrit comme un journal quasiment tenu au jour le jour avec la description presque clinique de toutes les phases d’un début de dépression. Je dors, je m’affale sur la table, « je me réveille en ayant oublié qui je suis […] le monde est triste. Tout est triste ».
Et pourtant elle va renaître : Charlie rechute (il est psychotique), il faut agir. Les canulars des inconnus d’Internet vont trop loin, il faut faire quelque chose. Et il y a l’amitié de Michael. OUF!
Dès l’antiquité, à Ephèse, on soignait le dés-intérêt par la parole et les bains. Sophocle s’applique à définir «melancholos », les anachorètes du Moyen Âge souffraient de dégoût spirituel, Charles d’Orléans écrit car on peut « transformer l’impossibilité de vivre en possibilité de dire » et Shakespeare, Goethe, Baudelaire, tant d’autres, ces morts-vivants, l’ont fait. A. OSEMAN le tente.
Il faut lire ce pavé de 400 pages lancé dans le lac d’indifférence des adultes. C’est aussi une main tendue aux jeunes gens en train de se noyer. Dérangeant mais instructif.
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