BANDE DESSINÉE-DOCUMENTAIRE – 15 ans et plus
Arnaud de La CROIX pour le scénario
Philippe BERCOVICI pour le dessin et les dialogues
Sylvie SABATER pour les couleurs
Éditions le Lombard – 24.50€
Redécouvrir les lumières des âges sombres de la période médiévale, c’est l’ambitieux projet de ce somptueux album documentaire historique qui recourt avec talent à la bande dessinée et à la recherche historique pour mettre en scène dix siècles d’histoire d’une Europe souvent présentée à tort comme plongée dans les ténèbres obscurantistes, vouée à la superstition et à la barbarie.
Cet album est une invite à dépasser les stéréotypes pour porter un regard neuf sur une période qui, au-delà de sa face sombre, a ses fulgurances dans un contexte géopolitique complexe souvent ignoré par le récit national dans lequel on a confiné cette période.
Dans ces dix siècles aucun ne ressemble à l’autre.
Le scénario s’organise donc autour de vingt dates qui font sens dans une chronologie qui court de la chute de l’empire romain en 474 à celle de Constantinople en 1453.
Chacune est mise en scène dans une bande dessinée.
Le graphisme tient beaucoup de l’art du miniaturiste.
Le dessin de Bercovici réussit à donner un caractère très contemporain à une reconstitution très pointilliste de l’époque et de la psychologie des personnages dans une tonalité qui est plutôt bon enfant.
Les encadrés expriment dans des termes simples les données historiques les plus complexes.
Les dialogues au ton très décalé donnent la parole à la vox populi et font la jonction avec la culture qui est celle du jeune public.
Le résultat est savoureux, aussi désopilant que rigoureux avec les données historiques.
Chaque récit se conclut par une remise en perspective scientifique qui fait toujours écho aux débats qui animent les chercheurs à propos du sujet traité.
Une lettrine ouvre chaque chapitre ainsi qu’un portrait inscrit dans un cadre gothique comme il se doit !
Une synthèse de chaque dossier est présentée dans le chapitre « pour conclure ».
Ce peut être une bonne manière d’aborder ce formidable ouvrage qui se pose comme une bible de l’époque médiévale que l’on peut aborder dans l’ordre ou le désordre avec sa culture et les goûts qui sont les siens.
Le lecteur jeune ou moins jeune est invité à un voyage en vingt étapes dans dix siècles d’histoire où, entre les splendeurs de l’empire islamique et les fastes de la Byzance des chrétiens d’Orient va se développer l’Occident chrétien.
Au début était Clovis qui, après la chute de l’empire romain et par son baptême noue l’alliance entre l’église et un roi barbare qui va créer de fait un état de droit dual largement inspiré du droit romain qui porte les germes d’un conflit qui animera le Moyen Age tout entier : » qui du souverain ou du pape va régenter les églises locales ? ».
Ce choix va donner à l’Occident chrétien une dimension spirituelle dont le côté sombre est incontestablement une multitude de conflits dont le paroxysme sera atteint avec les croisades.
Mais dans le même temps, dans les abbayes comme dans les universités ou à la cour des rois, brillent « les lumières des âges sombres ».
Voilà Chrétien de Troyes qui invente un genre littéraire nouveau, le roman écrit en langue vulgaire, qui célèbre l’amour courtois et « raconte une nouvelle manière d’aborder la relation entre le féminin et le masculin ». (« un amant doit implorer la merci de sa dame, et la dame lui accorder ce qu’il désire… à condition d’attendre le moment favorable ».
Et, oui, elle doit lui faire honneur comme un ami et non comme à un seigneur !)…
A bon entendeur salut… jeune lecteur !
Voilà Hildegarde de Bingen que tant l’église que les princes reconnaissent comme une femme d’exception, sa mystique, sa musique, sa médecine séduisent à nouveau aujourd’hui ; ses préoccupations holistiques et écologiques ne rejoignent-elles pas les nôtres ?
Voilà Suger qui impose le style gothique et construit Notre Dame de Paris…
Voilà les merveilles sonores de la polyphonie.
Voilà Thomas D’Aquin qui questionne la spiritualité et redécouvre Aristote…
Voilà Marco Polo, le marchand vénitien qui habille de spiritualité son commerce avec l’empire de Gengis Kahn…
Chacune de ces étapes du voyage est un émerveillement devant un monde médiéval qui innove et qui, sans bruit, développe un humanisme qui va être aussi la marque de l’Occident chrétien même si l’antisémitisme qui se développe lors de la Grande Peste devient aussi un marqueur de la culture européenne….
Toujours la lumière et la face sombre…rien n’est jamais simple et c’est le grand mérite que de le dire aussi !
Comment enfin ne pas souligner l’extraordinaire qualité du dossier qui ferme l’ouvrage sur l’évocation de l’œuvre de Bosch, sans doute le plus grand peintre du Moyen Age qui est contemporain de Léonard de Vinci…
Bosch exprime l’errance de l’homme dans un monde terrifiant en attente d’une vie meilleure.
Vinci place « L’homme de Vitruve », harmonieusement bien proportionné au centre de l’univers.
Contemporains sans doute mais l’un marque la fin du Moyen Age et l’autre annonce la Renaissance !
Un formidable ouvrage !
Un coup de cœur d’Opalivres ♥ !
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