ROMAN – Dès 15 ans et + *
De Gilles ABIER
Éditions La Joie de Lire – Collection (Encrage) – 14.00 €
Apparemment, l’histoire est celle d’un collégien qui se transforme peu à peu physiquement et mentalement en oiseau.
Pourquoi ? Il est certes un peu trop sensible, rêveur et chétif mais différents aspects de sa vie « normale » font tout d’abord croire à un jeu.
Ses deux amis, Mathilde et Milo contribuent à son équilibre par leur solide bon sens.
Il n’est pas sans défense en classe et le fait que ses parents soient séparés ne semble pas le perturber outre mesure.
Cependant nous ne sommes pas dans un récit fantastique : il y a Franck, le nouveau compagnon de la mère…
Son rôle est occulté jusqu’à la fin par l’auteur malgré des indices* dont le lecteur ne saisit pas la portée tout de suite.
Quelques phrases-clé suivies de points de suspension sont lourdes de sens mais l’écriture se veut hermétique, masquée, tout comme la pudeur ou la honte de l’adolescent cache la persécution qu’il subit.
C’est un choix littéraire symbolique.
Au second degré, le livre relate en effet une défense psychologique qui est au-delà d’un fantasme anodin et que personne dans l’entourage n’a su décrypter.
Seul le maître de tai-chi, sensible au blocage du corps, a cherché à libérer l’esprit de son élève.
Malheureusement, M. ZHANG ne parle pas français**…
Vers le milieu du texte, alors qu’initialement il distinguait rêve et réalité, le héros-narrateur a déjà glissé dans le déni total de celle-ci tant la souffrance est insoutenable.
Alternent alors pertes de contrôle et phases lucides car tous semblent l’abandonner.
Son père ne lui parle plus après un malentendu ; ses amis semblent s’unir dans une relation tendre, ce qui l’exclut.
Pourtant ils l’aident encore, écoutent ses confidences sans rire quand il fait passer les marques visibles des coups pour celles de sa métamorphose imaginaire en corbeau.
Mathilde positive affectueusement (p. 94), Milo ne se fâche pas. Ils réussissent même à l’amuser au carnaval.
Le premier dérapage visible par tous consiste à manger involontairement un ver de terre.
Puis lors d’une sortie commune chez l’infirmière qui possède un corbeau il se met à parler à l’oiseau mais cache encore aux autres la « réponse » reçue : FUIS !
C’est enfin le croassement en pleine chorale.
La déduction logique (mais faussée par la peur) et les derniers sévices (qu’on ignore encore) le décident : il se réfugie sur le toit de sa maison dans un nid de coussins et prétend s’envoler.
Cette solution extrême pour échapper au malheur met fin à l’aveuglement de la mère trop occupée d’elle-même et de ses amours.
Elle intervient pour ramener de l’enfer la victime de Franck, l’infirmier tortionnaire démasqué.
L’ouvrage se termine sur l’espérance qu’Elias désormais suivi par une professionnelle pourra retrouver l’équilibre intérieur
. Les questions essentielles demeurent : pourquoi s’être tu ? La communication était-elle possible ?
Si « le truc extraordinaire » est raconté avec verve et même parfois drôlerie, il s’agit toutefois d’un drame trop angoissant, trop difficile à comprendre pour être lu jeune.
Prendre du recul afin de saisir le propos véritable suppose des connaissances sur le comportement que l’on possède rarement avant 15 ans.
La lecture devient alors immersion poignante dans la complexité humaine.
*La description de Franck devrait nous alerter : « il a plutôt l’air d’un gangster que d’un infirmier ».
De même on ne prête pas forcément attention à la présence des phrases suivantes et de leur ponctuation :
– Je crois que je l’ai réveillé… p. 9
– Il m’agrippe les poignets… p. 25
– La complicité… entre nous, ou pas p. 27
– Je n’étais pas sûr que ce soit une question… p. 29
– Tu cherches à me provoquer… p.87
– Dépêche-toi d’entrer je t’attendais… p. 147
Or elles servent presque toutes à clore un chapitre, le soir ; la page qui suit débute par un réveil douloureux (suite aux coups) correspondant à une phase nouvelle du délire.
** « s’il n’y avait pas eu sa fille, je crois que je lui aurais dit que je vis un cauchemar »
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