BANDE DESSINÉE/DOCUMENTAIRE – Dès 14 ans
Frédéric CHABAUD pour les textes et le scénario
Julien MONIER pour les dessins
Éditions « petit à petit » – Collection (une histoire de…) – 17,90€
Le 31 juillet 1914, Jaurès est assassiné.
C’était la dernière grande voix qui s’opposait è la guerre et à une éventuelle implication des populations de nos colonies…
Dans le même temps, au Sénégal, le jeune Yacuba, le simple petit paysan, s’affirme dans la très hiérarchisée société Wolof et c’est de haute lutte et avec une rage animale qu’il s’arroge le droit d’inhumer le griot dans le tronc creux du baobab à palabres….
Une nouvelle vie commence qu’il entend mener avec la belle Aissatou…jusqu’à ce jour où l’armée française, en guerre contre l’Allemagne et les maures trafiquants d’esclaves, exige une contribution du village à l’effort de guerre en donnant quelques- uns de ses meilleurs guerriers.
Ils honoreront le village et recevront une prime de cinquante francs.
Voilà Yacuba le chef, Moussa le souriant, Issa le colosse et Djibril le guerrier pris dans la tourmente d’une guerre qui ne les concerne en rien, dans un monde qu’ils ne connaissent pas et où ils imposent l’image de combattants d’élite.
Commence l’épopée des tirailleurs sénégalais !
C’est le sujet que traite cet excellent album documentaire historique illustré qui conjugue avec talent des documents historiques et le récit à la première personne de Yacuba mis en scène par la bande dessinée.
Le jeune lecteur vivra tous les moments d’un itinéraire qui va de l’incorporation au dénouement pathétique au fort de Douaumont.
Chaque étape est un moment d’un itinéraire qui ouvre une réflexion sur les problèmes que pose leur intégration :
– La souffrance du voyage sur un bateau militaire.
– Le problème de la multitude des langues et des dialectes qui accouchent d’un « français petit nègre » qui les enferme dans un monde à part même si Yacuba parle un peu français, ce qui fait de lui un caporal !
– Le souvenir agréable de leur arrivée à Fréjus et la découverte d’un monde peuplé de gens étranges qui les regardent avec la même curiosité qu’ils ont à leur égard.
– La comédie du film où il faut sourire.
– Leur détermination à obtenir une sépulture musulmane pour un des leurs, mort du froid qu’ils ne supportent pas.
– Les gradés qu’il faut reconnaître et saluer mais qui sont faciles à identifier puisqu’ils sont tous blancs.
– L’opposition entre la façon de considérer les tirailleurs avec humanité et dans le respect de ce qu’ils sont et du potentiel qu’ils représentent du lieutenant Villefort et la hargne vindicative du capitaine Périmont qui ne voit en eux que de la chair à canon tout juste bonne à charger à la baïonnette.
A mesure que l’on approche du front, on découvre avec eux l’horreur d’une guerre de position où les hommes enterrés résistent à l’affrontement de deux lignes d’artillerie et où chaque progression se finit par un combat au corps à corps où excellent ces tirailleurs.
Le dessin se fait plus noir.
Les onomatopées éclatent au visage du jeune lecteur et projettent les corps déchiquetés comme des fétus de paille qui émergent parfois dans les tonnes de terre remuées.
Dans cet enfer, les actes de courage, qu’ils émanent des blancs pour sauver un tirailleur noir ou des tirailleurs qui jouent de la crainte qu’ils inspirent le coupe-coupe à la main pour défendre une position ou en prendre une à l’ennemi, remettent les hommes sur un plan d’égalité…
Elle est bien loin l’image du blanc supérieur !
Dans cet enfer, ils découvrent ensemble que le courage n’est imputable qu’à l’homme et non à ses racines !
Un dernier assaut verra Issa emporté par un obus et Moussa mourir la tête déchiquetée.
Quant à Yacouba, il se réveillera miraculeusement indemne au fond d’un souterrain en compagnie du lieutenant Villefort la jambe abîmée et d’un soldat allemand mort…
Ils se réconforteront avec son schnaps, le lieutenant prendra l’engagement de donner à son épouse et à son fils la lettre que Rudolph l’allemand avait sur lui et promettra à Yacouba de lui apprendre à lire et à écrire pour rester en contact.
Yacouba promettra de lui parler de sa brousse, des arbres à palabres et de la belle Aissatou….
Ils se retrouveront à Marseille… en 1939 !
La lecture des documents qui complètent la BD est un voyage passionnant sur la diversité des tirailleurs qui sont venus de toutes les contrées des territoires de l’Union Française pour constituer la force noire de l’armée et contrebalancer l’avantage démographique de l’Allemagne qui compte 70 millions d’habitants contre 40 millions pour la France métropolitaine.
Le jeune lecteur y trouvera :
– des documents photographiques de chacun des nombreux contingents.
– des statistiques sur leur nombre et les pertes subies qui restent difficiles à chiffrer.
– leur très grande popularité après la guerre.
– puis le relatif oubli dans lequel ils tomberont ensuite.
– l’émergence d’une aspiration à l’indépendance des peuples qui ont participé…
Voilà un excellent album qui devrait séduire autant les jeunes historiens que les amateurs de BD.
Il leur fera découvrir toutes les dimensions de la question complexe de la colonisation et des horreurs de la guerre….
Ils auront en main un outil pour dialoguer des cheminements de la pensée de Jaurès sur ces questions.
C’est un livre qui, au-delà des horreurs de la guerre et de la colonisation, laisse entrevoir beaucoup de grandeur et d’humanité dans cette « odyssée des Tirailleurs… »
C’est un coup de coeur d’Opalivres ♥ !
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