ROMAN – Dès 14 ans **
De Ruta SEPETYS
traduit de l’américain par Bee FORMENTELLI
Éditions Gallimard – Collection “Scripto” – 16.50 €
1945 : le front Est allemand cède sous la pression des troupes russes dont le grondement s’entend au loin.
Joana, Florian, Emilia, pour des raisons différentes, fuient à pied avec des compagnons de hasard, soutenus par l’unique espoir d’atteindre la côte baltique. Un bateau, le WHILHELM GUSTLOFF attend la cohorte des « rapatriés » à destination de KIEL.
Quatre voix alternent pour dire ce geste d’un peuple bigarré :
Joana, figure charismatique, est tourmentée par les conditions de son départ ; elle soigne pourtant calmement ceux qu’elle croise avec des moyens de fortune, grâce à des connaissances acquises auprès d’un chirurgien, du temps où son avenir se construisait en Lituanie.
Emilia, clandestine polonaise de 15 ans, trahie par ceux qui devaient la protéger, déjà sacrifiée par les vainqueurs, est une victime durcie dans l’effort, déterminée à suivre l’être impitoyable qu’elle a senti en Florian qu’elle appelle Le Chevalier. Elle ira jusqu’à l’abnégation.
Lui, bien qu’allemand, n’est pas soldat. D’abord farouchement solitaire, il est tendu vers un but mystérieux, mais son côté humain prend le dessus : sa prévoyance, sa volonté, son ingéniosité sont à tous d’un grand secours. Sa vengeance dérisoire ne s’attendait pas à l’amour.
L’antihéros les attend au port. Alfred, simple matelot recruté sur le tard, borné, se croit exceptionnel. La propagande nazi est passée par là… Il a tout faux mais joue à son insu un rôle utile pour Florian et les autres. Il représente le point de vue adverse et sa dérive.
Tout voyage est initiatique : parallèlement à la survie au quotidien, les trois héros analysent leur passé, se réfèrent à la figure paternelle et affrontent les épreuves.
Autant sur le navire que pendant leur marche harassante, ils passent progressivement à l’âge adulte, aidés aussi par les personnages secondaires symboliques.
L’enfant est une raison de vivre ; l’aveugle attentive devance les faits, le poète de la chaussure incarne la sagesse.
Une histoire d’amour vient attendrir des faits historiques poignants. Ceux mis en scène recoupent le témoignage, connu chez nous dès 1962, d’Eugenio CORTI qui avait vécu la retraite de Russie et écrit plusieurs ouvrages. (Son cheval rouge – 1983 – décrit précisément la foule jetée sur les routes et la traversée du pont de glace).
Des études récentes justifient le nombre de victimes du naufrage indiqué ; quant au beau titre, il résume l’implication de l’auteur… et la nôtre.
Lorsque la mer se retire, quelques heures de soleil font scintiller d’infimes cristaux blanchâtres ; quand 70 ans risquent d’ensevelir l’horreur, l’écrivain gardien de mémoire réveille la saveur amère des souvenirs maudits.
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