ROMAN – Dès 14 ans **
De Alex COUSSEAU
Éditions Le Rouergue – 15.90 €
Composé de trois grandes parties, « Le fils de l’ombre et de l’oiseau » est l’histoire de POKI (la femme oiseau), de son fils (PAWEL) et des jumeaux de ce dernier (ELIE et ELIAS). Le début commence par la fin… Dans l’attente du petit matin, moment choisi pour tuer Butch CASSIDY, Elie retrace la saga familiale tandis que son frère tient en joue le bandit paisiblement assoupi sous un arbre. Comment en est-on arrivé là ? C’est ce que raconte (apparemment) le livre.
1) De leur grand-mère n’est restée, dans les mémoires, qu’une légende : le pouvoir magique de comprendre le langage des oiseaux de mer ou d’un MOAI, l’envol (tel Icare) depuis l’île de Pâques, le naufrage puis la survie en terre inconnue, la rencontre éphémère avec le père mythique de son fils. Des vagues les auraient finalement déposés à Valparaiso. Mais la passion de voler reste la seule « raison » de vivre de POKI. Ecrit sur un ton lyrique, ce premier moment est comme une Odyssée dont le conteur brode les épisodes oniriques. L’héroïne triomphe inexplicablement de l’adversité, enfante puis disparaît dans les cieux comme une déesse moderne.
2) Viennent alors les aventures picaresques de son fils désormais orphelin. D’abord recueilli par un homme modeste, sage et bon (Cosmo), Pawel quitte ce père adoptif à 23 ans et parcourt l’Amérique latine à la recherche des arbres disparus dont rêvait sa mère. Alors qu’il espère trouver en chemin la femme idéale, il ne rencontre que les travers humains : cupidité, mensonge, racisme, violence, superstition… Le lecteur, balloté d’un lieu à l’autre, plonge avec le héros dans l’enfer d’une mine de cuivre, se ressource en Amazonie après avoir traversé une révolution avortée. Il soupire d’aise quand l’Amour apparaît enfin.
3) WARI, l’indienne métis, comble toutes les attentes ; elle accompagne désormais Pawel jusqu’en Patagonie et donne naissance aux jumeaux évoqués au début du livre. Butch CASSIDY réapparaît dans le récit et contribue (involontairement) au dénouement…
Quel sens donner à cette lecture ?
On peut choisir d’en rester à l’évasion que permettent les 400 pages d’un palpitant roman d’aventure destiné aux adolescents. Les péripéties parfois rocambolesques s’enchaînent ; rêve, magie et réalisme bien documenté s’entrecroisent. Pourtant les « faits », digressions ou a parte prémonitoires suggèrent autre chose.
La paternité biologique est réduite à une part quasi anecdotique, l’éducation par la mère escamotée : ce n’est pas ce qui importe dans l’histoire car chacun a la charge de se faire un nom et d’exister comme il le peut par soi-même (cas de POKI, WARI ou Butch CASSIDY)… mais les jumeaux antagoniques méditent leur vengeance sous l’arbre de naissance de leur père qui a quitté Cosmo pour être en harmonie avec sa mère.
Le deuxième axe est le « connais-toi toi-même » de Socrate : les pérégrinations de Pawel durent parce qu’il est l’otage des fantasmes d’autrui…pourtant lorsqu’il se met à exister vraiment, c’est en rupture avec le monde environnant ou dans le secret. Sa liberté implique la solitude. La société, responsable du déclin de l’île de Pâques l’a déçu. WARI (elle aussi sans père admis par le groupe) demeure tout aussi énigmatique.
La foi en la valeur essentielle de la parole (puisque les légendes permettent l’apprentissage du monde) est contestée au sein même du récit ; l’expression non verbale (au fusain) de WARI sur le support périssable du bruit du monde (les journaux) en témoigne. De son côté Elie cherche pourtant la trace de ses origines et le roman utilise le bandit privé de parole dès l’enfance pour dire qu’il en est réduit à s’exprimer par la violence.
Les contradictions portées par les héros de cette fiction, associées à l’idée que les apparences sont trompeuses peuvent donner à penser qu’elles s’appliquent aussi au désarroi contemporain, au vertige que procure la multiplicité des choix. Elles peuvent refléter une vision désemparée de notre monde : ces exemples de passion et d’imaginaire doivent-ils être suivis ? Aucune réponse n’est fournie.
Au-delà de 13 ans, quand on est lycéen, ce livre peut être considéré comme une réécriture très libre des œuvres de CALDERON ou Cyrano de Bergerac. Les thèmes essentiels de la littérature baroque du 17ème siècle sont clairement repris ici mais sans leur finalité « philosophique » (pas de choix de la raison contre la passion ni d’éloge de la connaissance et du progrès). A ce titre – sous forme de récréation – on révisera que « la vie est un songe » et « l’utopie une réalité qui n’est pas encore là ». Le mythe du cheval libre, les analyses scientifiques justifiant l’hypothèse d’arbres sur l’île de Pâques, la femme aux huit doigts sont autant d’éléments glanés ici ou là par l’auteur et transposés… La fluidité de sa langue riche et le changement de style selon les parties pourraient (comme le motif de certaines longueurs) faire l’objet d’une étude…
C’est qu’il devient urgent de réfléchir pour le bac français sur « le caractère relatif de l’originalité d’un écrivain », sur le fait que « l’écriture littéraire suppose des modèles qui sont imités, transformés »… etc. etc. Quittons les directives officielles pour dire que Marlon Brando est tellement touchant en Zapata que ses fans amoureuses refuseront résolument qu’on en fasse Zawatta !!!
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