BANDE DESSINÉE – dès 13 ans
D’après le roman « Il neigeait » de Patrick RAMBAUD
Frédéric RICHAUD pour le texte et le scénario
Ivan GIL pour le dessin
ElvIre DECOCK pour la couleur
Éditions Dupuis – 15,50€
« Les décombres » et « marche ou crève », voici deux nouveaux chapitres de la somptueuse bande dessinée historique « Bérézina » dans laquelle Frédéric Richaud (le scénario et le texte), Ivan Gil (le dessin) et Elvire Decock (les couleurs) adaptent « il neigeait » le roman de Patrick Rambaud.
Cette brillante équipe pare, cette fois, la Grande Armée des oripeaux de la faim, du froid et du désarroi dans une errance qui tient à l’aveuglement d’un Empereur qui refuse de voir la réalité qu’elle affronte, celle d’un ennemi qui se dérobe sans cesse et les précipite dans le piège des immensités glacées de l’hiver russe.
Tous les ressorts de la bande dessinée sont mobilisés.
Chaque dessin, chaque dialogue, chaque panorama, chaque gros plan est un moment d’histoire instantanée inscrit dans une fresque où passe le souffle de l’histoire en marche.
Les aplats d’un dessin panoramique aux formats les plus divers imposent les immensités russes glacées, boueuses, indifférentes et stériles comme un acteur essentiel de la retraite où s’engage la Grande Armée dans un enfer glacé.
La force des gros plans permet cette fois encore de donner des visages à la multitude et le croisement des regards éclaire une histoire en marche pleine
d’horreur et de grandeur avec des acteurs grands ou petits souvent aussi pathétiques que dérisoires.
L’errance et le pathétique c’est d’abord du côté de l’Empereur et des Maréchaux qu’on les trouve.
Le feu couve entre les maréchaux qui plaident l’épuisement des hommes, les difficultés du ravitaillement et la menace de l’hiver pour envisager la retraite et un Empereur qui refuse de voir des hommes là où il n’y a pour lui que des soldats et qui s’enferme dans un déni de la réalité quand il entend d’abord recevoir la reddition du Tsar qu’il pense avoir vaincu !
Le conflit va aller crescendo et osciller entre le tragique et le la farce quand les maréchaux seront rapidement « promus » au rang d’incapables qui ne cherchent qu’à lui nuire !
L’ordre de la retraite ne viendra qu’après de rocambolesques atermoiements qui font la joie du dessinateur pendant que les dialogues soulignent que les difficultés du ravitaillement mettent le
foie de cheval et la fricassée de chat au menu de la troupe pour qui on donnera Marivaux et « le jeu de l’amour et du hasard » au programme d’un improbable théâtre aux armées… sinistre symbole d’un siècle des « Lumières » qui sombre dans le naufrage impérial !
Mais avec l’ordre trop tardif de la retraite, la Grande Armée se trouve pris au piège de l’invisible Koutouzov maître de l’hiver et des immensités russes qui joue avec la Grande Armée comme le chat avec une souris !
Dans cet effroyable « marche ou crève », la Grande Armée perd de sa superbe, se vide de sa substance mais reste une machine de guerre qui se restructure et où l’instinct de survie et les excès qu’il engendre devient une vertu militaire même si le moral sera mis à rude épreuve lorsque traversant le champ de bataille de Borodino surgissent de véritables zombies, soldats blessés qui survivaient, tel Chabert, dans la carcasse des chevaux abandonnées dans un champ de bataille qui n’avait toujours pas été nettoyé de ses cadavres et de ses charognes !
Dans cette stratégie de la retraite, le cheval devient un enjeu et cette grande armée trouve encore la force de s’imposer des priorités : d’abord les troupes d’élite de la Garde Impériale puis l’artillerie, le reste est dévolu à la boucherie… avec quelques exceptions notables pour les chariots qui contiennent les œuvres d’art volées dans la capitale russe…
Pendant ce temps tombe la nouvelle d’un coup d’état avorté à Paris…
L’Empereur découvre que l’Empire chancelle et s’apprête à laisser son armée à ses maréchaux pour rattraper une histoire qui va plus vite que lui…
On attend avec impatience le troisième tome de cette saga qui met l’art de la bande dessinée au service de l’histoire.
Coup de cœur pour cette fresque historique sans concession !
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